LES DUELS - NAISSANCE ET EVOLUTIONS

 

 

ROME ET LES GLADIATEURS :

On trouve la trace ecrite des premiers combats singuliers chez Homere, qui emploie le terme d’hoplomachie. Elle est a l’origine, chez les Grecs, l’art de combattre avec une arme lourde. L’hoplite, soldat d’infanterie, est tres charge : il a pour se defendre un casque, une cuirasse, un bouclier rond, des bottines garnies de fer, et pour attaquer, une longue pique et une epee.

Influences par les recits de l’Iliade, les organisateurs des premiers jeux Olympiques en 776 avant JC, inclurent l’escrime ou l’hoplomachie (combat en arme, seul a seul) dans le programme. Des maitres se firent payer pour enseigner la maniere de combattre, tels les freres Euthydem et Dyonosaure, escrimeurs et sophistes, habiles dans le combat en arme comme dans la joute oratoire. Plus tard, les hoplomaches (ou maitres d’armes) furent retribues par les gymnases, qui organiserent des concours pour les hommes et les enfants.

Les conquerants romains, peu soucieux des traditions helleniques, transformerent les jeux Olympiques en jeux du cirque. Les combats de gladiateurs etaient tres apprecies des Romains. Il s’agissait d’anciens prisonniers de guerre, d’esclave ou de malfaiteurs. Achetes et formes par les banistae, eux-meme anciens gladiateurs, ils s’entrainaient dans des ecoles, en se servant d’armes emoussees.

Les gladiateurs etaient pourvus d’armes offensives et defensives. Les plus renommes d’entre eux etaient les mirmillons et les retiaires, du vieux mot rets qui veut dire filet. Le mirmillon, grand en general, portait un casque, une jambiere et un brassard metalliques, et etait arme d’une epee courte et large. Le retiaire, petit et vif, tenait un filet pour envelopper son adversaire, le maintenant a distance grace a un trident, et degainait un poignard dans les corps a corps. Lorsque le vaincu s’ecroulait, il levait le pouce pour demander la grace. Si l’Empereur baissait son pouce, il etait acheve. Dans l’arene romaine, le spectacle etait cruel et sanglant, bien eloigne des combats conventionnels et courtois des hoplomaches.

 

 

LES CHEVALIERS : ORDALIE ET TOURNOIS :

Apres l’effondrement de l’Empire Romain et les grandes invasions en Europe, la societe feodale s'est constituee progressivement autour d’hommes aux fonctions specifiques : ceux qui travaillent (les paysans), ceux qui prient (les clercs) et ceux qui se battent (les guerriers). Pour les seigneurs et leurs hommes, guerroyer etait un metier, une raison de vivre. Puis autour de l’an mille, les hommes d’Eglise commencerent a endiguer la violence guerriere : ainsi se constitua la Chevalerie.

Le postulant etait soumis des son enfance a une discipline engageant tout le reste de sa vie. Sa force physique etait entretenue par des exercices faisant alterner l’equitation, la chasse et le maniement des armes. Consacre ecuyer, il passait trois nuits en prieres avant d’assister a une messe a l’issue de laquelle on lui donnait l’accolade et on le frappait symboliquement avec le plat de l’epee. On lui apportait enfin l’ecu, l’epee et la lance, et son aventure chevaleresque commencait. Mis a part a la guerre, son art s’exprimait dans les combats singuliers, les tournois et l’ordalie, ou jugement de Dieu.

 

- Le jugement de Dieu :

Le combat singulier opposait deux adversaires armes. Il etait l’occasion pour eux de se defier, de deployer leur force physique et de mesurer leurs vertus guerrieres. L’ordalie etait une forme particuliere de combat singulier. L’issue de l’affrontement, symbole du jugement de Dieu, avait valeur de preuve juridique. Elle etait donc autorise par le souverain, dans le but de trancher une situation juridique douteuse entre l’accusateur et l’accuse ou leurs champions. Elle avait lieu dans un champ clos, autour duquel etait tendue une corde pour contenir la foule.

Celui qui avait provoque l’autre lui jetait un gant que ce dernier ramassait pour indiquer qu’il acceptait le defi. Puis, armes d’une cuirasse, d’un bouclier et d’une epee, les combattants engageaient la lutte. A l’issue du combat, le vainqueur se rendait a l’eglise pour rendre grace a Dieu.

Mais a la suite "d’erreurs judiciaires", le parlement fini par repousser systematiquement toutes demandes de reparation par les armes, et laissa au Roi la decision de trancher.

 

- Le tournoi : du simulacre de guerre a la fete mondaine :

A mesure que la societe feodale se structura, et que la chevalerie se disciplina, la guerre devint une activite plus intermittente. Aussi assistons-nous a partir du XIeme siecle a l’essor des tournois.

Ce sont dans les premiers temps de vrais simulacres de guerre ou s’affrontent des troupes d’hommes en mal de bagarre. D’abord, il s’agit de desarconner l’adversaire en le frappant avec la lance. Quand les lances sont brisees et que les cavaliers sont a terre, on sort l’epee pour en venir au corps a corps. Les melees, souvent sanglantes, ne sont pas codifiees.

Puis les choses evoluent. L’ideal chevaleresque, fait de prouesse et de courtoisie, transforme au XIIeme siecle le tournoi en fete reglee. Les combats se deroulent en champs clos, sous la surveillance d’arbitres, et sont ponctues par les sonneries de trompettes et les cris des herauts. Les tournois attirent alors la foule et les animateurs de fetes, jongleurs, acrobates et marchands. Des chevaliers parcourent l’Europe en veritables professionnels des tournois, et les gains des vainqueurs (chevaux ou rancons) sont attrayants.

C’est la joute qui triomphe. Cette forme de duel a cheval et a la lance entre deux champions est spectaculaire. Le chevalier doit faire preuve a la fois d’adresse et de force en visant avec sa lance, longue de deux a trois metres, le centre de l’ecu de son adversaire. Pour le duel a terre, occasion d’une veritable demonstration d’escrime, on utilise la masse, la hache, la dague, et des armes courtoises, c’est-a-dire emoussees.

Au XVeme siecle, les tournois deviennent de fastueux spectacles ou la noblesse se met en scene. Mais au siecle suivant, le tournoi devient une pratique desuete. En 1559, la mort du roi de France Henri II, blesse d’un coup de lance en joutant contre le compte de Montgomery, precipitera son abandon.

 

 

ARMES OFFENSIVES ET DEFENSIVES :

Au cours du Moyen-Age, l’armement eut tendance a s’alourdir. L’epee a deux mains, munie d’une poignee de vingt centimetres et d’une lame d’un metre a un metre vingt, etait utilisee par les cavaliers et certains fantassins. Elle permettait de briser a travers mailles ou armures les bras et les jambes des adversaires, ou de porter au defaut de la cuirasse un coup d’estoc, c’est-a-dire avec la pointe de la lame. Le lourd pommeau servait a assommer l’adversaire et lui ecraser la figure. Les quillons de la garde protegeaient la main mais, munis de crocs, ils permettaient aussi de harponner l’ennemi.

L’epee de modele roman, que l’on trouve a partir du XIeme siecle, a des quillons plus longs pour mieux parer. La lame, plus large a la base (le talon), est effilee jusqu’a la pointe pour faciliter les coups d’estoc. La dague, qui apparait a la fin du XIIIeme siecle, est une arme a lame courte, d’une trentaine de centimetres, sorte de modele reduit de l’epee. Tenue dans la main gauche, d’ou parfois son nom, elle sert a parer les attaques de l’adversaire et a le frapper dans le corps a corps. Elle fut aussi appelee misericorde, car elle obligeait l’un des combattants a crier "misericorde", lorsqu’il la voyait sur sa gorge.

La masse etait une sorte de gourdin, dont on se servait dans les tournois lorsque l’adversaire etait desarconne. Il existait plusieurs sortes de masses d’armes. Sur un manche court en fer etait fixee une tete a pointes : on cherchait a briser l’armure et les os de l’ennemi dans les corps a corps. Le marteau d’armes etait plus meurtrier : au manche de fer etait appliquee une grosse pique qui, du cote oppose, s’achevait par une tete en forme de marteau.

L’ecu est un bouclier d’un metre a un metre cinquante de haut, au sommet arrondi et a la base pointue, pour que l’on puisse le ficher en terre. Il est souvent decore d’armoiries.

Toujours dans les armes defensives, l’on trouve le casque, qui protege la tete contre les coups de tranchant portes par l’adversaire. Mais le coup de pointe entre les yeux, au defaut du casque, etait un coup classique. L’arme utilisee etait generalement une epee longue et effilee.

L’entrainement de ces diverses armes etait donne a la noblesse et a la bourgeoisie par des "joueurs d’espee", ancetres des maitres d’armes. Etant donne le poids des armes, la technique etait fondee sur la puissance musculaire. Il n’y avait ni ecoles, ni methodes. Les eleves recevaient de leurs maitres, formes par l’experience, un enseignement empirique, apprenant des bottes secretes qu’ils s’engageaient a ne jamais devoiler ni utiliser contre leurs professeurs.

Au fil du temps, les artisans armuriers devinrent de veritables artistes : gravure au burin, au poincon, a l’eau forte, bronzage, dorure, damasquinage, et de nombreuses forges ou l’on fabriquait des armes a la reputation internationale furent creees (comme celle de Tolede, en Espagne, pour citer l’une des plus connues).

 

 

L’AGE D’OR DU DUEL :

La Renaissance permit aux Italiens d’associer l’escrime aux differentes disciplines artistiques, litteraires et scientifiques. En effet, cette epoque voit la floraison d’ouvrages techniques illustres sur l’art des armes. Pour passer de la theorie a la pratique, des ecoles magistrales furent fondees a Rome, Naples, Verone, Venise. La plupart des jeunes aristocrates francais y furent inities a la science des armes, dont l'objectif inevitable etait le duel.

Au XVIeme siecle, l’epee a deux mains est abandonnee au profit d’une nouvelle arme nee en Espagne, la rapiere. La rapiere est une epee a lame longue et fine, faite pour les coups d’estoc. La garde etait constituee d’une espece de corbeille percee de trous, ou coquille, pour que la lame adverse s’y engage et s’y brise. Elle devint par la suite l’arme du duel par excellence. La force ceda ainsi le pas a la ruse et a l’astuce : on imagina des attaques nouvelles et des bottes secretes.

On doit les premiers traites d’escrime aux maitres italiens : en 1531 parut celui de Manciolino, et en 1536, celui (plus important) de Marozzo. Tres repute, il eut d’ailleurs plusieurs reeditions. En 1553 fut publie un traite d’esprit plus scientifique, signe d’Agrippa, qui etait architecte sans etre maitre d’armes. Il decrivait les quatre positions defensives de base, les gardes, premiere, seconde, tierce et quarte, une terminologie qui servit de modele au cours des siecles suivants. Les attaques, ou "bottes", etaient portees habituellement a la figure ou a la poitrine.

Stimules par les Italiens, les Espagnols, Allemands, Anglais et Francais prirent la plume pour parler de l’epee. En Espagne, berceau des armes nouvelles, les auteurs firent de l’escrime une science mysterieuse basee sur la geometrie et la philosophie. Le premier ouvrage francais est du a un gentilhomme provencal du nom de Henry de Saint Didier. Publie en 1573, il etait inspire des traites de Marozzo et d’Agrippa et donnait, en plus de l’explication des differentes positions, des anecdotes historiques narrant des duels.

 

- La vogue des ecoles d’escrime :

Au XVIeme siecle, une partie de l’education des Francais se faisait en Italie, et Montaigne rapporte que les ecoles d’escrime de Rome, Milan et Venise foisonnaient de jeunes nobles francais. L’Italie exporta ses maitres d’armes, qui eurent beaucoup de succes aupres de la noblesse et de la bourgeoisie.

A la Cour de France, l’epee est a la mode. Pendant le XVIeme siecle, les sept rois qui regnerent encouragerent l’escrime. En 1567, Charles IX fit publier les premieres ordonnances accordant des statuts aux maitres d’armes. La communaute des escrimeurs prit alors le nom d’Academie des Maitres en fait d’armes de l’Academie du roi. Reconnus par l’autorite royale, les maitres francais evincerent leurs collegues italiens. L’Allemagne est un cas particulier. Depuis le XVeme siecle, les Marxbruder (association de maitres d’armes) y enseignaient le maniement des armes nationales : l’epee a deux mains et le sabre. Mais ces armes lourdes et desuetes, a l’origine d’une escrime brutale, furent peu a peu remplacees elles-aussi par des armes plus legeres, et les maitres italiens vinrent ici encore entrainer leurs eleves au maniement de la rapiere.

 

- La passion du duel :

A cette epoque, les moeurs etaient telles que l’on brandissait aisement son epee et que l’insulte etait vite consideree comme un crime appelant la mort. C’est alors que fut publie dans la premiere moitie du XVIeme siecle l’ouvrage d’un juriste italien, Andrea Alciati. Celui-ci codifiait la pratique du duel, fixant la notion de point d’honneur et prevoyant les reparation selon la nature des offenses, depuis le duel au premier sang jusqu’au duel a mort (au troisieme sang). Son succes fut immense. Le code d’Aciati devint ainsi un ouvrage de reference en Italie, en Espagne et en France, ou Francois Ier ordonna en 1550 qu’il fut traduit.

Le duel devint alors la manie des gentilshommes. C’etait pour eux une maniere d’en decoudre entre gens de qualite sans avoir recours aux souverains, comme au temps de la feodalite. Le duel evolua, et l’habitude fut prise d’amener sur le terrain des seconds qui combattraient entre eux, tandis que l’offenseur et l’offense vidaient leur querelle. Ces confrontations entre "bandes" de duellistes firent regretter a certains le duel du jugement de Dieu, "avec lequel il y avait au moins l’economie du sang".

Le scenario du duel etait toujours le meme : injures/offenses, choix du lieu, choix des armes, mort ou blessure. L’appel en duel avait le nom de cartel, terme herite des tournois ou il designait le defi lance de chevalier a chevalier. On se querellait pour de vaines raisons, en placant son honneur personnel dans des futilites. Cette attitude des gentilshommes revelait une repulsion a recourir a la justice pour regler les differents, particulierement pour les questions d’honneur. On s’en remettait ainsi a son epee plutot qu’a un juge dont on meprisait l’autorite.

Mais arrive un moment, l’Eglise s’insurgea contre la pratique des duels. En 1563, le Concil de Trente condamna comme etant un crime contre les lois divines que cette double decision de vouloir tuer et se sucider. Des lors, les duellistes risquaient l’excommunication, de meme que les rois qui les toleraient dans leurs Etats.

En 1560, Charles IX signa une ordonnance visant a limiter le developpement anarchique des duels. Elle creait une juridiction du point d’honneur destine a regler, sans que le sang coula, les affaires d’offense. Mais l’epoque etait troublee et les esprits peu enclins a l’apaisement. En 1576, Henry III, par l’ordonnance de Blois, definit le duel comme un crime de lese-majeste : les combattants empietaient sur l’autorite du souverain en usurpant son pouvoir de rendre la justice. Mais il ne fit pas appliquer son ordonnance : dans le meme temps qu’il la signait, il fermait les yeux sur les duels qui opposaient ses mignons. Et quand ils se tuaient, bafouant les decisions royales, Henry III les faisait enterrer en grande pompe. Les interdictions resterent donc lettre morte et le duel devint la plaie du royaume.

 

 

DUELLOMANIE ET REPRESSION ROYALE :

Au debut du XVIIeme siecle, le duel est un veritable fleau : entre 1588 et 1608, pres de dix mille gentilshommes sont tues pour des questions d’honneur. Mais la pratique du duel reste l’apanage des grands, et pour brocarder ce privilege, on forgea un mot neuf : la duellomanie. Duellomane ce baron d’Aspremont, qui eut trois duels dans la meme journee... Duellomane, ce chevalier d’Andrieux qui, a trente ans, s’etait battu soixante-douze fois... Et la liste continue.

Les duellistes s’affichaient avec provocation. A Paris, leur lieu de predilection n’etait plus le Pre-aux-Clercs, en bordure de Seine. Ils se battaient en pleine rue. Le chevalier de Breteuil et le chevalier de Gravelles ferraillerent a midi, rue de Richelieu. Deux mousquetaires s’affronterent (comble du defi !) devant Notre-Dame-des-Victoires.

Le duel etait chez les nobles la manifestation d’un individualisme forcene, se jouant des contraintes institutionnelles. On cherchait par le meme geste a affermir sa reputation de vaillance et a affirmer son identite nobliaire. L’absolution monarchique, qui se mit en place au XVIIeme siecle, se heurta a cet etat d’esprit. Henry IV promulgua en 1609 un edit contre le duel, mais assassine un an plus tard, il ne put l’appliquer efficacement. En 1613, le chevalier de Guise bafouait l’autorite royale a l’occasion d’un double duel retentissant : il tua successivement deux barons de Luz, le pere et le fils.

Mais Louis XIII, aide de Richelieu, puis Louis XIV, sevirent contre le duel en meme temps qu’ils reduisaient l’influence politique de la haute noblesse. Entre le debut du XVIIeme siecle et 1723, il y eut huit edits royaux pour reprimer le crime du duel. Pourtant, l’application de ces edits ne fut pas draconienne. Il y eut peu de condamnations, et encore moins d’executions.

Dans son effort pour reprimer le duel, le pouvoir royal fut seconde par les hommes d’Eglise, les hommes de justice, et parfois aussi par les hommes de lettres, qui refleterent dans leurs oeuvres les mouvements agitant l’opinion. Ainsi, dans sa premiere piece, Melite, Coreille fait dire a deux personnages :

- Quoi, tu crains le duel ?

- Non, mais j’en crains la suite »

Travaillant dans un autre domaine litteraire, Pascal, autour des annees 1660, prendra position sur la question dans deux de ses Provinciales (la treizieme et la quatorzieme), au moment ou une partie de l’opinion inclinait comme lui du cote d’une plus grande rigueur. Au siecle suivant, les encyclopedistes combattaient ce qu’ils consideraient comme un reflexe archaique : la notion de point d’honneur n’avait pas pour eux de consistance. En revanche, l’honneur fut defini comme cette vertu morale et politique qui fait animer et respecter chaque loi, chez l’homme de quelque condition qu’il soit.

 

 

LA DEMOCRATISATION ET LA FIN DU DUEL :

Louis XIV avait accorde la noblesse hereditaire aux six plus anciens maitres d’armes de Paris. Par fidelite, la corporation soutint donc la monarchie. Mais lorsque la patrie fut en danger, les maitres qui avaient echappe a la tourmente revolutionnaire se mirent a la disposition de l’armee. Les jeunes recrues y recurent donc une formation acceleree, basee sur le maniement du sabre, arme de bataille aussi bien pour les fantassins que pour les cavaliers.

Napoleon favorisa le developpement de l’escrime militaire, a tel point que la pratique du duel dans l’armee devint une epreuve, afin de tester la vaillance d’une nouvelle recrue. Avec la conscription nationale et les acquis de la Revolution, l’idee du duel se democratisa alors, et sa pratique connue un regain de faveur dans la societe civile. De plus, la Revolution et l’Empire avaient developpe l’esprit belliqueux des militaires francais : quand ils n’etaient pas sur les champs de batailles, ils cherchaient a briller en ville, avec l’espoir que les historiens et les hommes de lettres relateraient leurs prouesses ou s’en inspireraient. Un des hauts lieux de ces rencontres etait le jardin du Palais-Royal, ou gardes et officiers en demi-solde se marchaient sur les pieds, se prenaient de querelle, puis allaient sur le terrain. Hommes d’experience, ils firent egalement profiter de leur connaissance dans les salles d’armes.

Mais la periode qui s’ouvrit donna au duel une autre vitalite. Les debats politiques et les joutes oratoires degenererent ainsi parfois en combat : c’etait le debut d’une ere nouvelle, celle du duel politique.

Des la Restauration, les joutes oratoires entre les hommes politiques se traduisirent en coups d’epees ou de pistolet. Apres 1830, la presse, moins censuree, permit aux querelles politiques de se donner libre cours, et le pistolet eut plus de succes que l’epee, qui tomba en desuetude. Une elite de partisans du duel decida alors d’en discipliner la pratique. C’est ainsi qu’en 1836, le comte de Chatauvillard redigea un code de duel. Il y definissait le point d’honneur comme "le degre de susceptibilite qui peut varier de caractere et d’intensite suivant le temperament et la position sociale de l’offense".

Apres avoir constates les faits, les quatre temoins instruisaient l’affaire et dressaient un proces-verbal de rencontre, le choix de l’arme (epee, sabre ou pistolet) revenant a l’offense. Puis les temoins designaient le jour, l’heure et le lieu, ainsi que la duree du combat et le nombre de reprises, apres avoir choisit un directeur de combat et deux medecins. Arrives sur le lieu de la rencontre, ils mesuraient le terrain, tiraient au sort les places, flambaient les epees ou controlaient les pistolets. Au signal de "Allez messieurs", prononce par le directeur, le duel commencait. Il ne prenait fin que sur une blessure estimee, par les temoins et le medecin du blesse, de nature a le mettre dans l’impossibilite de poursuivre. Un proces-verbal d’apres rencontre, auquel certains chroniqueurs donnaient une publicite dans la presse, attestait de la regularite du duel.

Le pistolet est l’arme que choisit l’offense qui ignore totalement le maniement des armes blanches, et son issue et moins certaine que les duels a l’epee, comme le montre la conclusion de l’altercation opposant Dubois, redacteur en chef du journal Le Globe, et son collaborateur Sainte-Beuve, qu’il avait injurie. Au final : quatre balles echangees... sans resultat.

Mais en regle generale, le duel au pistolet fit beaucoup plus de victimes que le duel a l’epee. En 1836, une querelle de journalistes entre Armand Carrel et Emile Giradin eut une issue tragique. Le duel eut lieu au bois de Vincennes. L’arme etait le pistolet et la distance de quarante pas. Carrel et Giradin tirerent simultanement : le premier fut grievement blesse, et le second mourut apres une agonie terrible. Ce duel suscita une vive emotion, et incita la justice a reagir. Deja en 1829, un magistrat du barreau de Troyes avait fait un rapport sur l’opportunite d’une loi repressive. En 1837, le procureur Dupin, antiduelliste farouche, fit decider par la Cour Supreme que le duel pouvait etre assimile a l’assassinat avec premeditation. Cette loi marqua la fin du duel, une "passion" qui avait duree pres de trois siecles...

 

 

LES DUELS FEMININS :

La pratique des duels n’etait pas reservee exclusivement qu’aux hommes. Mais l’epee restait l’apanage des hommes, et lorsque les femmes devaient regler un different, elles se battaient au pistolet. C’est ainsi que pour les beaux yeux du Duc de Richelieu, petit-neveu du Cardinal, mesdames de Nesle et de Polignac se donnerent rendez-vous au bois de Boulogne pour echanger des balles, dont l’une atteignit legerement a l’epaule madame de Nesle.

Mais il existait des femmes d’exception. Il en est ainsi de madame de Maupin, cantatrice et duelliste, qui degainait aussi facilement qu’elle faisait une vocalise. Fille du chevalier d’Aubigny, elle eut une vie des plus dissolues. Mariee, infidele, ayant enleve une jeune fille dans un couvent, elle fut condamnee par le parlement d’Aix a etre brulee. Pour echapper aux poursuites, elle prit l’habit masculin et se battit avec le comte d’Albert, dont elle devint la maitresse. Elle obtint alors la grace d’un Louis XIV vieillissant... et fut engagee a l’Opera. A la ville, elle etait habillee comme un homme, ce qui lui permettait de porter l’epee et de provoquer les gens qui lui deplaisaient. Mais a la suite de plusieurs duels, elle du quitter la France pour la Belgique, ou elle devint la maitresse de l’Electeur de Baviere. De retour a Paris, elle retrouva la belle madame de Florensac, puis le comte d’Albert. Cette fine-lame mourut en 1707, apres avoir fonde un hospice.

 

Source : "En garde - Du duel a l’escrime", P. Lacaze

 

 

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